André Sugnaux
Propos sur ma peinture de chevalet
Une manière d’être, un état d’esprit, une vision de l’âme, tels sont les maîtres-mots qui définissent ma peinture et qui permettent d’elle une certaine lecture.
Ma peinture n’a aucune leçon à donner à personne, si ce n’est à moi-même. Ma peinture est moi-même, mon autoportrait. Elle représente toujours un état d’âme. Elle ne suit aucune idéologie, aucun critère d’un quelconque mouvement ou mode du moment. Mon opinion, ma remise en question de ces groupes culturels dynamiques et révolutionnaires du début du 20 éme siècle, ne sont pas de mise. Je loue ces dits mouvements à manifeste culturel. Ce sont eux qui m’ont ouvert les portes du monde de l’expression picturale contemporaine et qui nous ont donné une vision et une dimension des plus enrichissantes de l’Art en général.
En ce qui concerne, ma peinture, très souvent, devient pour mes états d’âme, une thérapie, un moyen d’équilibre mental, psychologique et social.
Une trace, une forme, une couleur suffit parfois à me mettre en accord avec moi-même. Tout peut devenir source d’expression : une lecture, un poème, une musique, une senteur, une lumière, une joie comme une peine, un état de fait etc…, tout ce qui peut toucher la sensibilité de l’artiste. C’est dans la nature que je trouve mon modèle et c’est par elle que je m’équilibre. Très souvent, le modèle devient prétexte. « Lorsque nous parlons de la nature, nous ne devons pas oublier que nous en faisons partie et que nous devons nous considérer avec autant de curiosité et sincérité que lorsque nous étudions un arbre, un ciel ou une idée. Car il y a un rapport de nous au reste de l’univers, nous pouvons le découvrir et ensuite ne plus essayer de le dépasser. La peinture ne consiste pas à reproduire la réalité mais à produire des images. Celles-ci entendues comme des images de l’esprit. » (H.Matisse, Ecrit propos sur l’art.)
Si dans nos écoles artistiques, la formation à l’académisme est fondamentale, cela ne veut pas dire que l’on reste vieux jeu ; c’est bien pour acquérir cette formation à pouvoir représenter notre état d’esprit, ceci aussi bien avec de l’abstrait qu’avec de la figuration.
Si, à notre époque, l’expression picturale est surpassée par l’art conceptuel et audiovisuel, nous devons de toute façon non seulement l’accepter mais le reconnaître, car ce dernier représente sans ambages notre temps. Ces modes d’expression moderne sont les fruits d’une civilisation GAMBOYS, TV, NATEL etc…car, dès la prime jeunesse, ces éléments font partie intégrante de notre quotidien, surtout de celui des enfants. On les trouve au moment le plus crucial de leur formation. Comme l’art est l’âme d’une civilisation, d’un peuple, cette image de l’art conceptuel contemporain nous donne une idée précise de l’état dans lequel se trouve la société qui semble s’attacher à la superficialité des choses de la vie.
Si une œuvre d’art nous montre une perte des valeurs, pourquoi une autre œuvre d’art ne pourrait-elle pas être à la recherche de ces dites valeurs ?
Une œuvre d’art devrait sortir du plus profond de soi-même. « Sans la volupté il n’y a rien, mais on peut demander à la peinture une émotion plus profonde et qui touche l’esprit aussi bien que le sens. Par contre, une peinture purement intellectuelle est inexistante. On ne peut même pas dire qu’elle ne va pas plus loin, car elle ne commence pas. Elle reste fermée dans l’intention du peintre et ne se réalise jamais. »(H.Matisse.)
Par mon travail, j’essaye de suivre le chemin de ma sensibilité, d’y trouver encore une petite valeur au plus profond de moi-même. Je suis convaincu que nous reviendrons à la recherche des valeurs humanistes et que la nature resservira de modèle à l’artiste.
Ma peinture représente un état d’âme, celui du moment, état d’âme provoqué par un mot, une phrase, un poème, une senteur, un bruit, une musique, une vision, un événement quelconque. Tout ce qui forme la vie, ses moments positifs ou négatifs, ses faits, ses réalités contiennent les éléments provocateurs qui déclenchent l’éveil de la sensibilité. Ce sont toutes ces émotions qu’il me faudra conjuguer et traduire par la peinture. Tout modèle deviendra prétexte.
Je me suis souvent posé la question : Est-ce mon environnement qui influence mon état d’esprit, qui me sensibilise à telle ou telle réception, ou alors, est-ce mon état d’esprit qui me conditionne à être sensible à utiliser telle ou telle forme ou couleur dans la nature comme modèle ? Dans bien des cas, ce phénomène est indécelable. C’est après avoir terminé mon tableau et en avoir fait une analyse que je peux finalement me situer dans ce dernier.
Par exemple : en octobre 2001, travaillant en Russie, j’ai peint sur modèle deux enfants de ce pays, un garçonnet et une fillette, de six ans environ. A mon retour en Suisse, après quelques semaines de recul, j’ai à nouveau analysé mes tableaux et ce n’est qu’à ce moment-là que je me suis rendu compte que ce n’était pas deux enfants que j’avais peint, mais plutôt l’innocence d’un peuple, sa fragilité, sa douceur. C’est en partageant leur vie, en apprenant leur histoire, vivant leurs émotions, que cet état d’esprit m’a incité à m’exprimer de cette façon. Beaucoup d’éléments que nous côtoyons journellement avec indifférence deviendront facteurs de créations, hors de leur contexte habituel. Si je n’ai plus rien à dire, plus d’émotion, plus de sensibilité, j’essaye d’en provoquer, soit par changements de situations, soit en sortant de mon contexte habituel afin de trouver d’autres états d’esprit, par exemple en me confrontant à d’autres cultures. Une des plus grandes richesses que j’ai rencontrée, c’est l’échange culturel. Henri Matisse disait : « La rêverie d’un homme qui a voyagé est autrement plus riche que celle d’un homme qui n’a jamais voyagé. La divagation d’un esprit cultivé et la divagation d’un esprit inculte n’ont de commun qu’un certain état de passivité. »
Certes, il n’est pas nécessaire de peindre « Le radeau de la Méduse » pour se sentir en harmonie avec soi-même. Un trait, une tache, une couleur peuvent à eux seuls nous équilibrer. Le résultat dépendra de l’appréciation que je vais en faire par rapport à mon état d’esprit du moment. C’est pour cela que très souvent, je découvre et analyse mes travaux, quelques semaines, voire quelques mois après les avoir réalisés.
De ce fait, ce travail pictural ne peut être modifié ou corrigé par la suite, car ces modifications seraient faites probablement dans un tout autre état d’esprit. Il m’est arrivé à maintes reprises d’essayer cet exercice : retoucher un « ancien tableau » que j’avais réalisé quelques mois ou années auparavant. Les résultats ont pratiquement toujours été destructeurs et négatifs. Lors de ces retouches, c’était toujours une certaine discordance qui apparaissait au détriment d’un travail profond et vrai. Ces modifications n’avaient plus raison d’être et elle perdaient tout sens, vides de toute substance.
Le support devient espace, espace d’un moment de vie où l’artiste va imprégner son état d’âme, ses sentiments. Chaque trace parcourue dans cet espace, chaque forme et tache de viendront l’autoportrait de l’état d’esprit du moment de l’artiste, le plus profond de lui-même.
L’Icône m’a permis de pénétrer dans l’œuvre, non seulement sur le plan technique avec ses gravures et ses émulsions, (matière), mais aussi sur le plan psychologique, ceci en transposant sa philosophie religieuse (philosophie qui rend le sujet intemporel) en dématérialisant le sujet traité afin d’y présenter aussi l’âme de ce que l’on traite.
De ce fait, toute création de l’homme devient sacrée en soi. Le terme « Art Sacré » utilisé pour le classement des tendances artistiques n’a pas de raison d’être car toute création faite par l’homme devient d’office Art et Sacré.
Le symbole est très important dans le monde de la création. Sans être un « Symboliste » je pense que c’est l’élément qui très souvent donne un sens profond à l’utilisation d’une figuration réaliste. En ce qui me concerne, l’arbre et le pont sont mes deux modèles préférés. Ils s’inscrivent dans l’espace pictural d’une façon totalement opposée, mais très constructive. L’arbre : sa verticalité et le pont : son horizontalité.
Malgré ses innombrables essences et caractères, l’arbre nous porte toujours vers le haut. Ce dernier m’a beaucoup apporté, aussi dans le domaine du vitrail, par les vibrations de son feuillage d’où émane diverses lumières colorées, par son branchage qui me donne le graphisme du réseau de plomb, par ses divers caractères, dû aux essences ou aux saisons…
Le pont relie les éléments, il passe par dessus les crevasses ou les torrents, c’est-à-dire les éléments négatifs, il nous amène à bon port etc…
Voici, en résumé mon analyse de ces deux symboles.
Quelques réflexions relatives à l’Art chrétien et païen, tirées des écrits et propos sur l’art de Henri
Matisse nous montrent que l’art n’est pas fait pour épater le politicien ou le responsable religieux.
« Il faut être sincère et l’œuvre d’art n’existe pleinement que lorsqu’elle est chargée d’émotion
humaine et qu’elle est rendue dans toute sa sincérité et non pas par l’application d’un programme
conventionnel. C’est ainsi que nous pouvons regarder les œuvres païennes des artistes avant les
Primitifs Chrétiens sans être gênés. Mais quand nous nous retrouvons devant certaines œuvres de la
Renaissance dont les matériaux sont riches, somptueux, provocants, alors nous sommes gênés de voir qu’un
sentiment puisse participer au christianisme avec tant de faste, de fabrique et de superficialité. »
Propos sur ma technique picturale
La peinture n’est pas nécessairement une chose belle, dans le sens où la beauté qualifie un idéal esthétique, idéal très souvent superficiel. En ce qui me concerne, elle est thérapie. Chaque émotion pouvant devenir un facteur de déséquilibre, la peinture tend à me rééquilibrer et la technique y participe grandement…
Contrairement à d’autres artistes qui, eux, par leur peinture développeront une thèse quelconque, soit à partir d’un manifeste (comme les Futuristes de Marinetti ou les Surréalistes de Duchamp) ou par groupe (les Cubistes, Braque, Picasso, Juan Gris etc..) ou (Cobra, Alechinsky, Corneille, Appel etc..) ou (les nouveaux réalistes Arman, Tinguely, Dufrêne, César etc..) dans mon cas elle est peinture d’émotion et la technique entre dans le processus de l’équilibre au même titre que le sujet traité. Etant d’origine campagnarde, homme de la terre, de la matière, ogre peut-être, mais sensible quand même, je comprend mieux mon attachement à la matière, à vouloir la toucher, y pénétrer. C’est par ma peinture que je me découvre.
La philosophie religieuse qui accompagne l’Icône n’est pas totalement absente de mon travail profane. C’est elle qui m’aide à appréhender le sujet d’une manière non seulement matérielle, mais aussi spirituelle.
Le fait que l’Icône se réalise sur et avec des matières naturelles très diverses (tirées des mondes minéral, végétal, et animal) convient parfaitement à mon caractère dans ce qu’il a de campagnard, d’attaché à la nature. Graver dans la matière, réaliser sur du bois, me permet de pénétrer jusqu’au cœur de l’œuvre et d’en ressortir par les aspérités de marouflages de tissu. Tout se passe comme si mon état d’âme allait se décalquer sur l’œuvre, s’y coller, s’y érafler, s’y perdre et s’y retrouver et en ressortir purifié, apaisé. C’est en communiant ainsi avec l’œuvre que se manifeste en partie ma thérapie.